Tribune : “Depuis 2009, JIRAMA a accumulé un déficit opérationnel d’environ trois mille sept cents milliards d’Ariary”

1 Mar 2021

Il y a quelques semaines, une lettre de la Banque Mondiale adressée au ministre de l’Economie et des Finances avait défrayé les chroniques. La Banque Mondiale attirait l’attention sur les risques que constituent un retour en arrière sur une politique tarifaire de la Jirama déjà adoptée dans le cadre d’une aide budgétaire. A travers une tribune, la Directrice des opérations de la Banque mondiale pour les Comores, Madagascar, Maurice et le Mozambique, Idah Z. Pswarayi-Riddihough, apporte son éclairage sur la situation de l’accès à l’électricité à Madagascar. “Notre objectif est d’assurer une électricité suffisante pour tous en veillant à ce que les tarifs tiennent compte de la capacité de payer des clients, en particulier des plus vulnérables ; et permettent à la JIRAMA d’entrer dans une trajectoire lui permettant de retrouver son équilibre financier dans un délai de 3 à 4 ans” écrit-elle notamment.

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De Idah Z. Pswarayi-Riddihough
Directrice des opérations de la Banque mondiale pour les Comores, Madagascar, Maurice et le Mozambique ; Afrique orientale et australe, Afrique, Afrique

Que faut-il faire pour donner accès à l’électricité à tout le monde, ou à presque tout le monde, à Madagascar ? Actuellement, seulement 15% de la population a accès à l’électricité fournie par la JIRAMA. Il faudra de l’argent, de nouveaux investissements dans le secteur, ainsi que des réformes d’une grande portée pour surmonter les anciennes mauvaises dynamiques qui continuent d’empêcher les résultats que le peuple malgache mérite.

La pandémie COVID-19 nous a montré la valeur d’avoir accès à l’électricité et à Internet pour que les enfants puissent continuer à aller à l’école, que les adultes puissent continuer à travailler et que nos travailleurs essentiels soient en sécurité. L’accès à l’électricité n’est ni un luxe ni une option, c’est une bouée de sauvetage, une utilité sociale, un moteur de l’économie et une base essentielle sur laquelle l’économie s’appuie pour se développer.

Les réformes, quelles qu’elles soient, ne sont jamais faciles, car il y a toujours ceux qui en profitent et ceux qui doivent s’adapter. MAIS, les perdants de la réforme ne devraient pas être les plus pauvres, les plus vulnérables ni les plus nécessiteux. Et les réformes soutenues par la Banque visent expressément à garantir que les plus pauvres bénéficient de ses retombées, paient une juste part et puissent jouir d’un accès qui leur permettra de participer de manière productive à l’économie. Cela ne peut se réaliser qu’en révisant les barèmes payés par ceux qui en bénéficient aujourd’hui.

Pourquoi voudrais-je expliquer ce que nous espérons réaliser avec le gouvernement dans les mois à venir ? Je vous parle car les enjeux sont élevés :

Depuis 2009, JIRAMA a accumulé un déficit opérationnel d’environ trois mille sept cents milliards d’Ariary, soit un milliard de dollars ! C’est la somme du déficit créé par le maintien d’une politique tarifaire inefficace et non ciblée du secteur électrique malgache pendant plus de dix ans. Imaginez combien de nouveaux clients auraient pu être connectés au réseau pour cette somme !

Cependant, cette somme n’a pas profité aux 85% de Malgaches qui n’ont pas accès à l’électricité, mais principalement à deux groupes :

1) Les 10% des grands consommateurs résidentiels les plus riches des clients de JIRAMA (équivalent à 1% de la population), grâce à des tarifs résidentiels subventionnés qui revendent l’électricité 40% moins chère que JIRAMA l’achète à ses fournisseurs.

2) les fournisseurs d’électricité de la JIRAMA, à travers les marges excessives d’un grand nombre de contrats d’achat d’électricité, dont la plupart ont été attribués illégalement en gré-à-gré au cours de la période 2009-2017. (Certains de ces contrats ont été renégociés par la nouvelle direction de la JIRAMA pour revoir les marges et les clauses abusives des contacts, mais il reste encore beaucoup à faire).
Il est important de bien comprendre et de ne pas déformer notre objectif de changer cette dynamique. Il ne s’agit pas de retirer le pouvoir à certains et de le donner à d’autres. Notre objectif est d’assurer une électricité suffisante pour tous en veillant à ce que les tarifs tiennent compte de (i) la capacité de payer des clients, en particulier des plus vulnérables ; (ii) permettent à la JIRAMA d’entrer dans une trajectoire lui permettant de retrouver son équilibre financier dans un délai de 3 à 4 ans.

Ceci permettra à la JIRAMA non seulement de payer ses fournisseurs sans le soutien du gouvernement, mais aussi de pouvoir à terme investir dans l’amélioration de la qualité et de la fiabilité de ses services et de connecter des centaines de milliers de ménages vulnérables qui restent encore exclus de l’accès aux réseaux.

Est-ce trop demander ? Ne gérons-nous pas toutes nos ressources personnelles pour une efficacité maximale – ce que nous entendons souvent par « rapport qualité-prix » ? Soutenons tous ces ajustements pour que tout le pays et tout le peuple puissent en bénéficier.

Dans mon prochain blog, je partagerai avec vous quelques chiffres qui vous montreront comment les nouveaux tarifs, si appliqués et mis en œuvre, rétabliront une équité sociale.

Depuis qu’elle a rejoint la Banque en 1995 en tant que jeune professionnel, Pswarayi-Riddihough a travaillé dans quatre régions différentes ; Asie du Sud, Asie de l’Est, Moyen-Orient et Afrique du Nord et Afrique subsaharienne. Son dernier poste était en Asie du Sud en tant que directrice-pays pour le Népal, le Sri Lanka et les Maldives. Auparavant, elle a occupé le poste de directrice des services opérationnels de 2012 à 2014, où elle a également supervisé des équipes couvrant les opérations de gestion financière et de passation de marchés. Elle a également occupé divers postes de direction opérationnelle et institutionnelle, dont celle de directrice de la stratégie et des opérations, à la vice-présidence des ressources humaines.