La MOEUA Madagascar rend sa déclaration préliminaire

9 Nov 2018

ANTANANARIVO, LE 9 NOVEMBRE 2018

MISSION D’OBSERVATION ELECTORALE DE L’UNION AFRICAINE POUR L’ELECTION PRESIDENTIELLE DU 07 NOVEMBRE 2018 EN REPUBLIQUE DE MADAGASCAR

DECLARATION PRELIMINAIRE

INTRODUCTION

1- Les électeurs malgaches ont accompli leur devoir civique en se rendant aux urnes le mercredi 7 novembre 2018 pour élire le Président de la République. Cette élection consacre la fin d’un mandat présidentiel après celle de 2013 qui a mis un terme à une transition politique.  Le contexte politique de ce scrutin est assez particulier, car ayant été marqué par des remous et des tensions politiques en 2018. Le nombre élevé de candidats et la présence d’anciens Présidents et Premiers ministres constituent également un élément à noter dans ce processus. La tenue d’ « une conférence Nationale Souveraine » par 19 candidats ayant gelé leur participation au processus à 14  jours du scrutin constitue aussi un élément qui a attiré l’attention de la communauté internationale. Conformément aux dispositions constitutionnelles et législatives, le président en exercice a démissionné 60 jours avant la date du scrutin. Auparavant, et conformément à une orientation de la Haute cour constitutionnelle, un Premier Ministre et un nouveau Gouvernement ont été nommés.

2- Sur invitation du Gouvernement de la République de Madagascar, le Président de la Commission de l’Union africaine, son Excellence Moussa Faki Mahamat a déployé une Mission d’Observation Electorale (MOEUA) dont l’objectif est de faire une observation indépendante et impartiale du processus électoral et d’en faire une évaluation objective au regard des standards internationaux en matière d’élection libre, démocratique, transparente et conformément aux lois de Madagascar.

3- La MOEUA a été déployée conformément aux dispositions de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance de 2007, entrée en vigueur en 2012, de la Déclaration de l’OUA/UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique de 2002, des Directives de l’Union Africaine pour les missions d’observation et de suivi des élections de 2001 ainsi que de la Constitution et des lois malgaches.

4- Conduite par S.E.M Ramtane LAMAMRA, ancien Ministre des affaires étrangères de l’Algérie, la Mission compte 40 observateurs dont 8 observateurs de Long Terme. La Mission comprend entre autres des Ambassadeurs accrédités auprès de l’Union africaine à Addis Abéba, des parlementaires panafricains, des responsables d’organes de gestion des élections et des membres d’organisations de la société civile africaine. Les observateurs Long Terme ont été déployés depuis le 18 octobre 2018 et seront sur le terrain jusqu’à la fin du processus électoral.

5- Les observateurs de l’Union africaine ont été déployés dans les régions de Analamanga, Itasy, Vakinankaratra, Boeny et  Atsinanana. Soit 5 régions sur 22 que compte Madagascar. Il s’agit d’une couverture de 14 districts sur 119.

6- Dans le cadre de leurs activités, la Mission de l’Union africaine a rencontré, le Président de la République par intérim et le Premier Ministre ; des acteurs politiques,  les responsables de la CENI au niveau central et au niveau des démembrements (provinces, districts, communes), les acteurs au niveau des Fokontany, la Haute cour constitutionnelle, des candidats, les membres du corps diplomatique, les représentants de la société civile, les observateurs internationaux, les observateurs nationaux, les forces de sécurité et les responsables des médias.

7- La présente déclaration, qui est une évaluation du contexte pré-électoral et du jour de l’élection, est basée sur les activités et interactions des observateurs avec les différents acteurs politiques et électoraux du pays ainsi que sur les rapports d’observation directe du déroulement du scrutin, du processus de dépouillement et du début de la centralisation des résultats. La Mission va continuer à suivre l’évolution du processus électoral et un rapport final plus exhaustif sera produit à l’issue de celui-ci.

 

I- CONSTATS ET OBSERVATIONS PRELIMINAIRES

 A- Contexte politique des élections

8- L’élection présidentielle du 07 novembre 2018 se tient dans un contexte politique particulier. Au-delà du nombre élevé de candidatures et la présence de hautes personnalités ayant géré les destinées du pays à un moment donné, le contexte est surtout marqué par la présence de quatre anciens Chefs d’Etat. La Mission a noté les constats suivants :

  • La démission du Président en exercice pour se porter candidat à l’élection du Président de la République conformément à la Constitution ;
  • Une requête jugée irrecevable d’un groupe de candidats tendant à ré-ouvrir la liste électorale, révoquer la Haute cour constitutionnelle et son remplacement par une cour électorale spéciale. Cette requête a été formulée en pleine campagne électorale ;
  • Les reproches faits à certains candidats qui utilisent de gros moyens ;
  • Des altercations entre les partisans du candidat n°13 et ceux du candidat n°25.

B- Sécurité

9 – La mission constate que la question sécuritaire constitue un défi majeur pour l’ensemble des acteurs et plus spécifiquement pour la participation des électeurs au vote le jour du scrutin.

10 – Cependant, la mission note que les services de sécurité travaillent en étroite collaboration avec la CENI pour relever ce défi.

C- Cadre juridique

11- Le cadre juridique encadrant l’organisation des élections à Madagascar a été revu en 2018. La Constitution de la 4ème République, les lois organiques 2018-008 du 11 mai 2018 relatif au régime général des élections et des referendums et 2018-009 du 11 mai 2018 relatif à l’élection du président de la république, ainsi que la loi 2015-020, constituent les principales dispositions législatives en matière d’organisation des élections. Ces dispositions garantissent l’organisation des élections et sont conformes aux standards internationaux. La Constitution garantit les droits et libertés fondamentales du citoyen notamment la liberté d’association et d’opinion.

12 – La participation des partis politiques dans l’organisation des élections est contenue dans la loi fondamentale, qui en son article 14 stipule que les partis et les organisations politiques concourent à l’expression du suffrage. La loi 2009-002 du 15 janvier 2009 contient l’ensemble des dispositions encadrant les activités des partis politiques et de leur participation aux élections.

13 – Conformément aux Principes et lignes directrices de la SADC, régissant les élections démocratiques, la loi n°2015-020 du 19 octobre 2015 relative à la création de la CENI répond aux critères du point 5.1. 3 de la SADC.

14- La Haute cour constitutionnelle a la compétence de connaitre de tout contentieux relatif à l’élection du président de la République et rend des décisions. La République de Madagascar a ratifié plusieurs autres instruments internationaux sur la démocratie et les élections qui enrichissent le cadre légal national notamment la Charte Africaine sur la Démocratie, les élections et la Gouvernance de 2012, et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.

15 – Toutefois, la MOEAU note la non-codification des textes régissant les élections à Madagascar.

D- Administration électorale

16- La Mission note que la Commission Electorale Nationale Indépendante est la structure de gestion des élections à Madagascar. Néanmoins, le Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation y intervient à travers les chefs des Fokontany dans le cadre de la révision ou de l’établissement de la liste électorale, la remise des cartes d’électeurs.

17 – La Mission constate également la gestion par la CENI de la régulation des médias publics. La MOEUA suggère que cette attribution soit revue et confiée à un organe indépendant, plus qualifié dans le domaine.

18- La CENI a élaboré et publié son chronogramme lié aux différentes opérations de l’élection présidentielle. La Mission apprécie le respect par la CENI du chronogramme établi et salue la tenue régulière du Comité de pilotage qui regroupe la CENI et les contributeurs au basket-fund (panier commun).

19- Les cadres de concertation avec les parties prenantes mis en place par la CENI constituent des espaces d’information et d’échanges qui rendent le processus plus inclusif et dénotent la transparence dans la conduite du processus électoral.

20- Néanmoins, la mission regrette la revendication infondée de certains candidats portant sur la réouverture du fichier électoral, la récusation de la Haute cour constitutionnelle.

E- Fichier électoral et distribution des cartes d’électeurs

21- Conformément à l’article 33 de la loi n°2018-008, le fichier électoral a fait l’objet d’une révision ordinaire du 1er décembre 2017 au 15 mai 2018. La liste des électeurs a été arrêtée à 9 913 599. Le fichier électoral a été audité en 2018 par des experts de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). L’audit a conclu que le fichier électoral est fiable pour tenir les élections de 2018. Mais, l’audit relève aussi des anomalies et des corrections à faire sur le fichier électoral. La mission d’audit a aussi fait des recommandations portant sur l’aménagement d’un site central pour loger le fichier, interconnecter le site avec les autres serveurs, renforcer la formation civique et électorale des électeurs par les partis politiques et la société civile, introduire la biométrie en informatisant l’état civil, entre autres.

22- La Distribution des cartes d’électeurs est faite par les commissions locales de recensement au niveau des Fokontany. La mission note néanmoins la non-disponibilité du taux réel de retrait des cartes d’électeurs avant le jour du scrutin.

F- Enregistrement des candidats et déroulement de la campagne électorale

23- La Constitution de la 4ème République dispose que la Haute cour constitutionnelle est compétente  en matière de contentieux de l’élection du Président de la République. La Haute cour constitutionnelle reçoit les dossiers de candidature à l’élection et statue sur leur validité conformément à l’article 12 de la loi organique n°2018-009. Suivant la procédure suivie devant elle, la Haute cour constitutionnelle a rendu la décision n°26-HCC/D3 du 22 août 2018 arrêtant la liste définitive des candidats au premier tour de  l’élection présidentielle du 7 novembre 2018 et  a validé 36 candidatures sur les 46 dossiers déposés. La Haute cour constitutionnelle a procédé à la vérification de la conformité des candidatures aux prescriptions constitutionnelles, législatives et règlementaires et du respect des conditions d’éligibilité.

24- La campagne pour l’élection du président de la République a débuté le 8 octobre 2018 et a pris fin le 5 novembre 2018, conformément à l’article 47 de la Constitution et l’article 2 de la loi organique n°2018-009 relative au régime général des élections et des référendums.  La campagne a été très animée, notamment, et  elle s’est globalement déroulée dans le calme. Les candidats ont été libres de faire campagne sur l’étendue du territoire national. La mission a toutefois recueilli quelques reproches faits à l’endroit de certains candidats sur les moyens utilisés, et les écarts de langage entre partisans. La mission note aussi que les espaces réservés pour l’affichage  n’ont pas été respectés par certains candidats.

 

G- Médias

 

25- La Constitution de 11 décembre 2010 garantit la liberté d’expression. Le paysage médiatique malgache est marqué par une multitude d’organes de presse (écrite, audiovisuelle et électronique). La Mission constate que la plupart des médias appartiennent à des  candidats. Cependant, la Mission note qu’en l’absence d’une autorité de régulation des médias, la CENI a joué le rôle de régulateur des temps d’antenne de façon équitable entre les différents candidats.

H- Société civile

 

26 – La société civile malgache a démontré sa capacité à s’impliquer dans l’organisation des élections mais aussi dans la sensibilisation des citoyens pour un climat de dialogue social et d’apaisement. Elle a été accompagnée dans son action par la communauté internationale notamment l’Union européenne, l’UNICEF et le PNUD à travers le projet SACEM. L’engagement de la société civile dans l’observation des élections a contribué à renforcer la confiance des citoyens dans le processus.

I- Participation des femmes

27- La législation malgache ne prévoit pas de dispositions particulières concernant la participation de la femme aux affaires publiques et politiques. La situation de la représentation des femmes dans les instances décisionnelles à Madagascar est la suivante : 19% au niveau de l’Assemblée Nationale, 15% au niveau du Sénat, 20% au niveau du Gouvernement, 16% au sein des collectivités décentralisées. Aussi, sur les 9 membres de la CENI, figure une seule femme. La Haute cour constitutionnelle compte parmi ses 9 membres 4 femmes. Les femmes constituent 46% de l’électorat.

28- Cependant, la participation politique de la femme malgache reste entravée par des facteurs socioculturels et économiques qui méritent l’attention des acteurs politiques. Sur les 36 candidats en lice pour l’élection présidentielle, il n y a que 4 candidates.

J- Participation des personnes vivant avec handicap

29- La loi organique 2018-008 en ses articles 157 et 158 prévoit les conditions de vote des personnes vivant avec un handicap. L’article 158 prescrit que tout électeur atteint d’infirmités le mettant dans l’impossibilité de prélever son bulletin unique, de marquer son choix et de le glisser dans l’urne est autorisé à se faire assister par une personne de son choix.

 

II- OBSERVATIONS DU JOUR DE VOTE

 A- Ouverture des bureaux de vote

30- La plupart des 106 bureaux de vote visités le jour du scrutin par les observateurs de l’UA ont ouvert à l’heure légale, c’est-à-dire à 6 heures. Cependant, il y a eu quelques bureaux   qui ont ouvert avec un retard variant de 30 minutes à 1 heure. Ces retards étaient dus à l’aménagement tardif des bureaux de vote. Très peu sont les bureaux où les files d’attente ont été observées tôt le matin.

B- Matériel électoral

31- Les observateurs de l’UA ont noté que le matériel électoral était disponible et en quantité suffisante dans la plupart des bureaux de vote visités. Cependant, la mission a constaté, l’absence d’isoloirs dans certains bureaux de vote occasionnant du coup le retard dans le démarrage des opérations.

C- Personnel électoral

32 -Dans la quasi-totalité des 106 bureaux visités par les observateurs de l’UA, le personnel électoral était au complet. Toutefois, ce personnel avait quelques difficultés à lancer les opérations au début du vote, ce qui démontre un besoin supplémentaire de formation. Les femmes étaient bien représentées dans l’encadrement des bureaux de vote en tant que membres des bureaux de vote, déléguées des candidats ou observatrices, 71%.

D- Présence des observateurs et des délégués des candidats

33- La présence des observateurs nationaux et internationaux était remarquée dans la majorité des bureaux de vote visités. Ceux-ci avaient un libre accès aux bureaux et pouvaient exercer leur rôle sans restriction. Les délégués des candidats ont également été déployés dans les bureaux de vote. Sur les 36 candidats, la mission a noté la présence des délégués de 2 à 4 candidats dans la plupart des bureaux visités. Il s’agit des délégués des candidats numéro 12, 13, 25 et 34.

E- Déroulement du scrutin

34- Le scrutin s’est globalement bien déroulé et a été inclusif. Le secret du vote a été respecté dans les bureaux visités par les observateurs de l’Union africaine.

F- Clôture et dépouillement

35- La loi dispose qu’à la clôture du scrutin, le dépouillement se fait immédiatement dans le bureau de vote et en public avec la participation des électeurs. La mission a constaté que le dépouillement s’est déroulé dans le calme et le respect des procédures.  L’opération de dépouillement s’étant poursuivie dans la nuit, il a été constaté une insuffisance d’éclairage dans certains bureaux et les lampes prévues n’étaient pas en nombre suffisant, ce qui a conduit à l’utilisation d’autres moyens tels que le téléphone portable.

 

RECOMMANDATIONS ET CONCLUSION

Recommandations

A ce stade de l’observation de l’élection et pour améliorer les conditions de la poursuite des opérations, la mission recommande :

Au Gouvernement

  • Créer les conditions de la poursuite du cadre de concertation entre les différents acteurs impliqués dans le processus électoral.

A la CENI  

  • Mettre un accent particulier sur la formation des agents électoraux aux procédures et règles en matière de tenue du bureau de vote et de dépouillement ainsi que l’utilisation des documents électoraux ;
  • Prendre des mesures pratiques afin de faciliter l’accès aux bureaux de vote aux personnes vivant avec handicap ;
  • Poursuivre dans un esprit de dialogue avec tous les autres acteurs politiques les discussions en vue de régler définitivement la question du fichier électoral ;
  • Encourager en lien avec la Communauté internationale la relecture du cadre légal et la codification des textes ;
  • Poursuivre en lien avec la société civile les initiatives d’appels collectifs au calme des populations et de tous les acteurs politiques.

 Aux acteurs politiques/candidats

  • Poursuivre dans la voie du dialogue et de la concertation, le règlement de toutes les divergences pouvant naître du processus électoral ;
  • Recourir aux juridictions compétentes pour le règlement de tout contentieux électoral.
  • Respecter scrupuleusement la loi et s’abstenir de faire des annonces des résultats du vote, cette prérogative relevant de la CENI pour les résultats provisoires et de la Haute cour constitutionnelle pour les résultats définitifs.

Aux organisations de la société civile

  • Poursuivre et intensifier leur travail d’éducation civique et de sensibilisation de la population;
  • Appeler les leaders politiques à la cohésion sociale, aux respects des règles institutionnelles et électorales pour des élections apaisées après le scrutin.

A la communauté internationale

  • Poursuivre et renforcer son appui multiforme aux acteurs locaux du processus électoral ;
  • Renforcer son soutien technique et matériel aux autorités malgaches dans leurs efforts pour l’instauration de la paix et de la stabilité démocratique;
  • Organiser la complémentarité et la coordination dans le déploiement des missions d’observation électorale.

Conclusion

 L’élection présidentielle du 7 novembre 2018 de par ses enjeux, constitue une avancée significative dans la consolidation de la démocratie et de la stabilisation du pays. Elle a été organisée dans les règles et a permis au peuple malgache de choisir librement  son Président de la République.

Le taux de participation à ce scrutin n’a pas encore fait l’objet d’une déclaration publique de la part des autorités, mais il apparait relativement important.

Toute contestation pouvant naître après la proclamation des résultats devra obéir aux règles de droit et être soumise aux juridictions compétentes. Tous les candidats doivent prôner la modération dans le comportement et le respect des résultats tels qu’énoncés par la CENI et la Haute Cour constitutionnelle.

L’Union Africaine salue les efforts du Gouvernement, de la CENI, de la Classe Politique, de la Société Civile, de la Presse, du Peuple malgache et de la Communauté internationale qui ont concouru à la tenue de ce scrutin dans des conditions satisfaisantes. L’Union Africaine se réjouit de ce processus qui s’est tenu dans le calme et de manière ordonnée.

La Mission rendra compte aux autorités de l’Union Africaine de cette volonté notée des acteurs politiques malgaches en vue de consolider la démocratie et de créer les conditions de la stabilité et de la paix, gage de tout développement.

 Fait à Antananarivo, le 09 novembre 2018

 Pour la Mission,

 S.E.M RAMTANE LAMAMRA

Chef de la Mission